Education / Dole & Jura

L'accueil des élèves allophones au lycée Duhamel : un défi humain avant tout

L'accueil des élèves allophones au lycée Duhamel : un défi humain avant tout. - Un défi de taille pour le système éducatif français. - Un "melting-pot" pédagogique. - Une pédagogie de la bienveillance. - Des parcours inspirants et des réussites silencieuses. - Des élèves témoins de leur propre transformation. - Une promesse à tenir.

Classe UPE2A
Un défi de taille pour le système éducatif français

Dans le cadre de la politique nationale de l'inclusion scolaire, l'accueil des élèves allophones (apprenants parlant une autre langue que celle du pays d'accueil) représente un véritable défi pour le système éducatif français. Ce défi dépasse largement la seule question linguistique et pédagogique : il est profondément humain. A travers lui se joue l'égalité des chances, la promesse que chaque élève, quelle que soit son origine, puisse se construire un avenir.

Dans le Nord Jura, à Dole, le lycée polyvalent Jacques Duhamel illustre cet engagement avec son dispositif UPE2A (Unité Pédagogique pour Élèves Allophones Arrivants). Des jeunes venus de tous les continents y sont accueillis chaque année. Pour eux, tout est à reconstruire : nouvelle langue, nouvelle école, nouveaux codes. Mais surtout un nouvel espoir : celui de pouvoir apprendre en paix, dans un cadre bienveillant et sécurisant.

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Classe UPE2A

Un "melting-pot" pédagogique

Environ 30 élèves rejoignent chaque année l'UPE2A du lycée Duhamel, encadrés par une équipe composée de quatre membres : un enseignant coordinateur à plein temps, deux enseignants à mi-temps et un accompagnant pédagogique.

Maxence, enseignant dans le dispositif, décrit la richesse et la diversité du groupe : "Nous accueillons des élèves d'Afghanistan, d'Azerbaïdjan, d'Inde, du Mali, du Nigeria, du Kosovo, de Serbie ou encore de Colombie. Si certains viennent de pays francophones, d'autres arrivent sans aucune notion de la langue française."

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Carte indiquant les pays d'origine des élèves

Les élèves sont orientés vers le lycée majoritairement par le CIO et le CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des élèves allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs). Sont également suivis ceux qui étaient dans une UPE2A dans un autre établissement (collèges du secteur).

Les élèves sont ensuite repositionnés par le professeur coordinateur ou l'un de ses collègues enseignants qui peuvent ainsi établir des classes et des disciplines de scolarisation qui vont varier, évoluer plutôt tout au long de l'année, pour aboutir au plus vite à une inclusion totale avec des heures de FLS (Français Langue Secondaire) et de soutien en plus.

Cette inclusion se fait au mieux grâce à la rédaction de préconisations en début et en cours d'année du professeur coordinateur d'UPE2A aux professeurs principaux et/ou aux professeurs des disciplines concernées. Les premières disciplines d'inclusion sont l'éducation physique et sportive et les arts plastiques. Mais très rapidement les mathématiques (universel), les sciences physiques plus tard pour les plus scientifiques. Des langues vivantes pour ceux qui les maîtrisent ou tendent à les maîtriser. Puis les matières plus denses en langue française, en compréhension de l'oral et en expression écrite.

L'UPE2A ne se limite pas à l'apprentissage du français. C'est un cadre scolaire complet qui propose des cours dans de nombreuses matières. Cette approche globale est cruciale pour les élèves qui n'ont jamais été scolarisés ou très peu dans leur pays d'origine. Avec douze heures de français hebdomadaires en plus des autres matières, ils progressent sur tous les fronts malgré les difficultés. Maxence précise : "Le barrage de la langue est immense, surtout quand les alphabets sont très différents. Mais ce sont des traumatismes liés à leur parcours qui freinent le plus."

Une pédagogie de la bienveillance

Quentin, accompagnant pédagogique, insiste sur le rôle essentiel du groupe : "La force du collectif est incroyable. Les élèves les plus avancés aident naturellement ceux qui débutent. Il y a une vraie solidarité et une bienveillance qui émanent de cette classe."

L'équipe adopte une pédagogie fondée sur la bienveillance, en partant des centres d'intérêt des élèves, de leurs passions communes : plats favoris, musique, sport. Les supports sont concrets et visuels : photos, vidéos et jeux. "Cela prête à la rigolade et dédramatise l'apprentissage", ajoute-t-il.

Au-delà des cours, de nombreux projets artistiques, sportifs et culturels sont mis en place, permettant ainsi aux jeunes de s'exprimer autrement que par la parole. Ces activités renforcent la confiance en soi, favorisent l'inclusion et créent des liens entre les élèves et avec le reste de l'établissement. C'est aussi un moyen de raconter son parcours sans avoir à mettre des mots sur des expériences parfois douloureuses.

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Activité avec les élèves d'UPE2A

Des parcours inspirants et des réussites silencieuses

L'histoire de l'UPE2A au lycée Duhamel est jalonnée de parcours inspirants.

Maxence témoigne non sans émotion : "J'aurais des centaines d'expériences à partager. En huit ans, je pense avoir croisé près de 300 élèves. C'est fantastique de voir leur résilience, de constater qu'ils s'en sortent très bien avec nous et sans nous."

Qu'ils poursuivent en filière professionnelle, technologique ou générale, certains élèves réussissent à entrer dans le monde du travail ou à accéder à l'enseignement supérieur. Il cite un exemple : "L'an dernier, j'ai été invité au mariage de l'un de mes premiers élèves, un Erythréen qui a épousé une Serbe. Il travaille aujourd'hui dans la conception d'avions à Toulouse, après avoir réussi un concours très difficile. Il parle un français impeccable, parfois meilleur que celui de certains natifs."

Pour les enseignants, chaque réussite est une victoire, chaque parcours une source d'émotions : "Ce sont des moments inoubliables ", conclut-il.

Des élèves témoins de leur propre transformation

Dans le cadre de cette rencontre, plusieurs élèves ont accepté de livrer leur témoignage.

Juan David, arrivé de Colombie, confie: "Au début, c'était difficile avec la langue, mais maintenant ça va mieux. Les professeurs et mes camarades m'ont beaucoup aidé. La météo, par contre, je m'y fais toujours pas !"

Deux sœurs venues d'Angola, Célestina et Mervedi, partagent un sourire : "En France, il y a du fromage, des desserts et même le goûter ! On ne connaissait pas ça dans notre pays. De plus, ici on est en sécurité."

Léna, une élève kosovare, ajoute simplement : "On a été bien accueillis. Les professeurs sont là pour nous."

Juan David, Célestina, Mervedi, Léna et leurs camarades ont un point commun : chacun d'eux a en tête un projet professionnel déjà bien défini.

Une promesse à tenir

Loin des clichés, l'UPE2A du lycée Duhamel est bien plus qu'un dispositif pédagogique : c'est une aventure collective, un lieu de reconstruction, d'espoir et de rencontres. Chaque élève qui y entre porte une histoire souvent marquée par la fuite, la perte, le déracinement. Mais au fil des mois, grâce à la solidarité entre élèves et à la force du collectif, ces jeunes retrouvent confiance, reprennent goût à l'apprentissage et se projettent à nouveau dans l'avenir. Apprendre une langue, c'est bien plus que conjuguer des verbes ou mémoriser du vocabulaire, c'est se réapproprier sa voix, se donner la possibilité d'exister autrement, ici, maintenant, dans une nouvelle société. Chaque réussite, chaque mot prononcé, chaque sourire retrouvé est une petite victoire contre l'exil intérieur.

Mais l'avenir reste incertain. Car une fois sortis du cadre protecteur de l'UPE2A, ces élèves font souvent face à de nouveaux défis, de nouveaux obstacles : orientation trop rapide, précarité administrative ou économique, sentiment d'isolement. Leur avenir, encore trop souvent, demeure suspendu à des décisions politiques, à des régularisations incertaines, à des quotas invisibles, jusqu'à l'obligation de quitter le territoire français (OQTF).

L'école, à elle seule, ne peut pas tout réparer. Mais elle peut offrir un cadre, une main tendue et parfois même une seconde famille. A travers l'UPE2A, le lycée Duhamel montre que l'Education, lorsqu'elle est portée par l'humain, peut devenir un pont entre les mondes. Un pont solide, mais qui, pour tenir, a besoin que toute la société s'engage.