Écologie & Société / Jura & Salins-les-Bains
Que se cache t-il derrière le chantier d’usine à pellets de Salins les bains?
Dans le Jura, des citoyen·nes se penchent sur le calcul du bénéfice-risque de l’implantation d’entreprises telles que l’usine à pellets de Salins-les-Bains dans leurs bassins de vie et entreprennent d'en informer le public.
L’urgence climatique et les crises sociales dans lesquelles les gouvernements successifs ont plongé la France, ont provoqué plus que jamais un nécessaire devoir de contrôle et avec lui un regain citoyen d’intérêt pour la chose publique; les chèques en blanc des années 70 et avec eux la politique d’artificialisation des sols des trente glorieuses: subventions, bétons, goudrons, sont une page qu’on veut révolue. Or, dans le Jura, quelques (irréductibles) élus, continuent à être hostiles aux démarches citoyennes qui consistent à se pencher sur le calcul du bénéfice-risque de l’implantation d’entreprises telles que l’usine à pellets de Salins-les-Bains dans leurs bassins de vie et en informer leur concitoyens.
Selon les propos de Henri Dorbon, maire de Vadans, relevés par Hebdo 39 Par Odile Rigaud, le 26 Juillet 2024,
« Aujourd’hui on est en train de fabriquer des machines à ne plus rien faire. On n’a pas fait le grand canal, on ne saura jamais si c’était mieux de l’avoir fait. On n’a pas fait le Center Park, là je pense qu’on ne va pas faire d’usine à pellets, on ne fera pas d’éolien…
En fait, on ne va plus rien faire parce que chaque fois qu’on fait quelque chose, il y a tout un tas de gens qui viennent vous expliquer que le mieux c’est de ne rien faire et de retourner dans les grottes.
Dans ce conseil communautaire, on nous demande presque de faire de l’ingérence, c’est insupportable. La commune de Salins, par la voix de son maire, est favorable à ce projet chez elle. »
Si nous devions répondre à ce maire, nous pourrions formellement lui dire : « Non, ce n’est pas une machine à ne rien faire qui se dessine, cela s’appelle la démocratie, et il devrait s’en féliciter ».
Mais la démocratie a bien du mal à vivre, car c’est au rythme des parutions dans la presse que les citoyens et les citoyennes apprennent au compte-gouttes les contours de la dorénavant future célèbre usine à pellets de Salins-les-Bains.
Il s’agissait au départ de la création de 80 emplois, et d’un processus impliquant uniquement de la vapeur d’eau qui sortirait des cheminées de l’entreprise, puis au fur et à mesure des recherches, des réflexions, des calculs faits par des collectifs de citoyens, ou d’associations de préservation de l’environnement ce sont d’autres chiffres, d’autres réalités, d’autres faits, puis une autre usine à pellets qui s’installe à 15 km de Salins-les-Bains où la société EC bioenergie, filiale du groupe allemand JRS, a racheté l’usine de Souvans, qui produirait 80 000 tonnes de granulés bois à partir de 2025. Le site ferait travailler 35 personnes.
A Salins, on verrait environ 140 passages par jour, soit un camion toutes les 5 à 10 minutes d'après les informations que nous avons recueillies auprès d'autres usines à pellets, dans une ville de 3000 habitants qui souhaite redynamiser son activité économique notamment par le tourisme thermal, une qualité de l’air qui s‘en trouverait dégradée sans pouvoir l’évaluer avec exactitude en amont, accompagnée d’une pollution sonore certaine due au transport et aux déchiqueteuses/broyeuses, un trafic routier qui s’en trouverait impacté, l’artificialisation de huit hectares de terres agricoles entraînant la pollution de l’eau, et en particulier de la rivière La Furieuse par le ruissellement et le lessivage des sols, un approvisionnement en bois non identifié … tout ça pour 40 à 45 emplois ?
Selon l’association Pays de Salins Environnement, « on ne connaît rien de la pérennité du projet. En effet, avec une chute de près de 50 % du nombre d’installations de poêles à granulés en France en 2023 et la hausse significative des prix des pellets, la filière bois-énergie reste prudente quant à son avenir.
On comprend donc que le marché sur lequel se positionne EO2 n’est pas pérenne et que les difficultés que rencontrera cette entreprise, qui bénéficiera de subventions publiques pour s’installer, devront être assumées par les collectivités quand celle-ci viendra à faillir (friches industrielles, pollutions …) »
Source : la Dépêche
Une entreprise cotée en Bourse, ça fait la différence…
Une entreprise cotée en bourse a pour intérêt le bénéfice de ses actionnaires. Elle n’est pas philanthropique, elle ne sert pas au bien-vivre des habitants du bassin dans lequel elle est implantée. Une entreprise cotée en bourse s’implante dans des gisements de ressources pour effectuer un profit maximum. Mais est-ce bien le cas en ce qui concerne la ressource en bois pour l’usine de Salins?
Et qu’en est-il de ce nouveau produit de consommation énergétique présenté comme une solution « écologique » alors que le bilan carbone de ce nouveau produit de la filière bois n’est pas aussi performant qu’on le présente, et que le risque de destruction de la faune et de la flore avec une telle entreprise est réel?
De nombreuses questions sont posées sur ce projet, par la Fédération Jura Nature Environnement, et par l’association Pays de Salins Environnement qui les ont répertoriées dans une lettre aux élu·es, faisant part de l’inquiétude générée par une présentation peu claire, dont les chiffres varient quant au nombre d’emplois créés ou aux capacités de production de l’usine.
Élu, Un nécessaire rôle de pédagogue…
A plusieurs reprises Le président de la communauté de commune et le Maire de Salins-les-Bains ont eu l’occasion de présenter dans les détails le projet, d’en expliquer les contours, et l’intérêt pour la commune et son bassin de vie, mais faute d’explications claires, ils ont opposé une fin de non-recevoir, voire un certain mépris des interlocuteurs, autres élus et citoyens, comme cela a pu être observé publiquement lors du dernier conseil communautaire, qui souhaitaient avoir des précisions pour mieux appréhender le dossier.
A ce dernier conseil communautaire, comme nous avons pu l’apprendre par voie de presse, il s’agit même dorénavant d’omettre des informations - clé dans la mise en œuvre de ce chantier.
A la suite du conseil communautaire du 2 juillet dernier, Pays de Salins Environnement, six riverains et une élue communautaire salinoise déposent un recours gracieux pour demander l’annulation de la délibération de la promesse de vente des terrains au profit de la société EO2. Assisté du cabinet d’avocats Atmos, Pays de Salins Environnement a initié ce lundi 9 septembre 2024 la procédure en annulation de la délibération relative à la promesse de vente de parcelles situées dans la zone d’activités des Mélincols à Salins-les-Bains. Un courrier reprenant l’ensemble des arguments soutenant l’illégalité de cette délibération a été adressé au président de la CCAPS, Dominique Bonnet, par voie d’huissier afin qu’il procède à son retrait et à son annulation. Le président de la communauté de communes dispose maintenant de deux mois pour répondre à l’association, à l’élue et aux riverains requérants.
Pourquoi un climat de tension se dessine t-il lorsque élus et citoyens souhaitent avoir des informations sur ce dossier ?
Y a t-il des enjeux qui ne sont pas connus, des taxes professionnelles plus importantes pour la collectivité avec une grosse entreprise plutôt que plusieurs petites ?
Si Mr Bonnet et Mr Cêtre n’ont rien à cacher et sont factuellement convaincus du bien-fondé de ce projet, pourquoi ne sont-ils pas dans une attitude d’ouverture et d’échange avec leur concitoyens ?
Nous retrouvons l’inquiétude des habitant·es sur la question démocratique, dans les propos suivants, extraits du site internet de l’association Pays de Salins Environnement.
Élus sans Voix Critique
Pour l’association Pays de Salins Environnement, lorsque les élus, censés représenter les intérêts de la population, répètent de manière uniforme le discours de l’entrepreneur sans recul critique, cela soulève des doutes quant à la transparence et à l’intégrité du processus décisionnel. « Les habitant.e.s espéraient que leurs représentant.e.s exercent un rôle de filtrage et d’évaluation des conséquences potentielles du projet. Cette absence de prise de recul a renforcé les inquiétudes quant à la prise en compte de toutes les dimensions de cette initiative ».
En somme, les problématiques soulevées par les citoyen·nes illustrent un besoin criant de transparence, de dialogue et d’inclusion dans la prise de décisions qui affectent notre territoire. « La nécessité d’une démarche véritablement participative, où chaque voix est entendue et prise en compte, apparaît plus importante que jamais ».
Réinterroger notre gestion de la Forêt
La foret jurassienne impactée par l’évolution du changement climatique devra faire face à des sécheresses répétées qui entraîneront la disparition progressive de ses résineux.
La fabrication des pellets est une opportunité de traiter les co-produits de l’industrie du bois, et peut s’avérer viable pour recycler les arbres morts, mais la question se pose de la pérennité de ces entreprises qui exploitent ce nouveau filon de la filière bois dans la région. Y aura t-il suffisamment de bois localement pour rentabiliser l’usine de Salins, et pour combien de temps ? La priorité doit être donnée aux circuits courts et l’implication citoyenne est nécessaire dans l’étude d’impact des projets qui affectent le mode de vie des habitant·es et celui des générations à venir.
En France, la demande croissante en bois énergie entraîne une hausse de la récolte de bois et une dette carbone supérieure à 35 ans. (Source : Valade et Bellasen, 2020)
Laissons les forêts vieillir et absorber du carbone. Plus une forêt est âgée, plus elle stocke du carbone dans ses arbres mais surtout dans son sol. Plutôt que de mobiliser des terres agricoles pour produire des biocarburants, laissons revenir les arbres au milieu des champs et faisons évoluer les pratiques agricoles. Cette stratégie de restauration des écosystèmes est sans doute la plus efficace et la plus rapide pour absorber rapidement du carbone et mettre fin à l’érosion de la biodiversité. (Source Canopée au bas de l’article)
S ‘inscrire dans une démarche d’aller vers…
Face à ce constat, et à travers l’exemple présenté de la gestion d’un tel projet porté par la puissance publique, et des conséquences qu'il aura sur la vie d'un territoire, Trente Neuf Degrés à l’instar de sa vocation, et de son angle de vue « la fièvre sociale, l’urgence environnementale, le changement de cap », pense qu’il est impératif et primordial de continuer à chercher de nouvelles manières de faire la Politique, de considérer les citoyens et les citoyennes comme des actrices et acteurs à part entière des décisions prises pour la cité, en se réappropriant les communs pour délibérer sur les préoccupations et les aspirations populaires et s’offrir une démocratie vivante.
Liens et sources :
Pays de Salins Environnement: https://paysdesalinsenvironnement.fr/le-projet-de-mega-usine-a-pellets/
SOS Forêt France: https://sosforetfrance.org/
Faite et racines: https://www.faite-et-racines.org/2024/08/11/assemblee-pour-des-forets-vivantes/
Canopée, forêts vivantes: https://www.canopee.ong/campagnes/encadrer-les-bioenergies/
Partager c’est sympa, série d’enquêtes sur la forêt: https://www.youtube.com/playlist?list=PL2U07Dgr_jGUrLMMfpzdL1g1-oPHFU1CA